Primordial (Urban Comics)
12 février 2023Primordial
Que se passerait-il si, pendant la Guerre Froide et le concours à l’exploration spatiale, les deux plus grandes puissances armées perdaient des navettes conduites par des animaux ?
C’est la question que se pose Jeff Lemire dans cet album heureusement publié en one-shot en VF chez Urban. Autrement dit Urban Comics mais ce mot n’apparaît pas sur la couverture, magie du choix éditorial qui ne veut pas se mettre à dos un public anti-comics alors que le format est justement plus proche de la BD franco-belge ou du one-shot roman graphique).
Pourquoi “heureusement” ? Parce que version mensuelle, je pense que la conclusion aurait été très décevante par rapport au fait d’attendre six mois, de suivre des personnages qui n’auront qu’un effet très utilitaire et dont la demande de la patience (6 mois, c’est long, ça permet de construire une attente, de faire des plans sur la comète afin de deviner la conclusion) est peu récompensée au terme de l’album. Ceci étant, l’album n’est pas mauvais loin de là.
On va y suivre des humains intéressés par le phénomène spatial et les animaux pas tant perdus que ça dans l’espace. Le tout se joue sur des plans temporels et spatiaux différents avec “enfin” une bonne idée sur la communication des idées au travers de l’espace-temps.
Cependant et c’est probablement là où le bât pourrait blesser, il n’y aura pas d’explications claires. Au lecteur de se faire sa petite idée avec les infos dont il disposera quant à l’endroit où se trouvent les animaunautes et ce qui va les aider là-haut.
Pour une fois, Lemire laisse de côté son obsession pour les relations père-fils (même si, en cherchant un peu, cette relation de filiation est tout de même mentionnée) et j’avoue que le rapport au langage limité des animaux permet une lecture assez fluide. Pas de descriptions, des dialogues qui sont courts (peut-être trop et laissant beaucoup de non-dits qui seront aux bons soins du lecteur) et donc un rythme qui ira de l’avant (là encore, le format mensuel a dû en frustrer quelques-uns dont j’aurais certainement pu faire part).
Du dynamisme qui laissera aussi une bonne part de responsabilité au dessinateur Andrea Sorrentino et au coloriste Dave Stewart. On est dans une école de reproduction de photos (un peu à la Alex Maleev) ce qui donne un aspect très réaliste aux scènes sur Terre. Sorrentino sait parfaitement maîtriser l’équilibre entre le dessin et le modèle photo que ce soit du côté des protagonistes humains ou animaux qui seront eux, souvent traités comme du dessin pur avec un trait d’une très grande finesse. Le sujet et la maîtrise du trait, dans ces scènes, ne seront pas sans rappeler le We3 de Grant Morrison et Frank Quitely que je ne comparerai pas plus car il faudrait que je relise ce dernier. Ceci dit, on pourra tout de même relié les deux également par le thème “expérimentation / maltraitance sur les animaux” présent. Dave Stewart est un pro en la matière et réussit à ne pas trop en faire et à garder une belle cohérence avec ce que Sorrentino propose. Reste à savoir lequel des deux artistes aura réalisé les couleurs peintes de deux moments bien particuliers et mis en valeur très logiquement. Dans ces moments-là, j’hésite toujours entre la nécessité de l’effet et une insistance peu nécessaire. Je choisis de laisser la carte “rabat-joie” pour cette fois-ci.
La traduction de Benjamin Rivière est chouette, je l’ai trouvée transparente et donnant également du dynamisme à l’ensemble. Je ne sais pas s’il a également traduit la post-face avec le crédit des auteurs mais on y trouvera une petite coquille.
Au final, Primordial est une lecture agréable et bien menée. À voir si elle ne subit pas trop la comparaison avec le We3 de Morrison déjà mentionné.