Toutes les morts de Laila Starr
11 mai 2024Scénario: Ram V
Dessin: Filipe Andrade
En VF chez Urban Comics, en VO chez Boom! Studios.
La Mort est reçue par son patron: désolé, madame, mais on va se passer de vos services. En effet, l’inventeur (mortel) de l’immortalité est né. La Mort n’a donc plus beaucoup d’intérêt et elle peut donc, si elle le souhaite, s’incarner dans une humaine pour passer ses derniers jours. Forcément, pour la Mort, la pilule est difficile à avaler, après tant de bons et loyaux services. Celle-ci a donc un plan: éliminer le mortel qui lui a chipé son boulot. Après tout, elle a encore le temps. C’est dans le corps d’une jeune fille suicidaire, Laila Starr, qu’elle se réincarne et voilà qu’elle tombe nez à nez avec le bébé qu’elle a décidé d’éliminer. Sauf que, là, tout de suite, elle hésite. Forcément, elle attire l’attention du personnel hospitalier, elle s’enfuit … et se fait renverser par un camion dans la rue. Dommage. Sa nouvelle vie fut de courte durée. Sauf que Leila se réveille, accompagné par le dieu de la Vie qui l’a à la bonne.
Il faut dire que l’un sans l’autre, c’est encore assez étrange. Leila va donc à nouveau intégrer le monde des humains. Sauf que quelques années se sont passées …
Toutes les mots de Leila Starr a été l’année dernière l’un des gros cartons en matière de comic-book. Je ne me suis pas jeté sur l’album pour deux raisons: une, ma pile de lecture haute comme la Tour Eiffel; deux, les dessins pour lesquels je n’ai pas craqué. Et donc, c’est grâce à une agréable bibliothèque quasi-locale que j’ai pu combler ce manque dans ma culture comics. Je comprends pourquoi l’album a eu du succès. Avec son format à la limite du franco-belge, Urban Comics a bien joué la carte du “mais non, les gars, c’est pas vraiment du comics”. Et les amateurs de BD se sont dit “houlà, en voilà du comics intelligent qui nous sort des sentiers battus du super-héroïsme”. Bon, ça n’a peut-être pas été prononcé de cette façon mais j’imagine que l’idée était celle-là.
À raison, le scénariste Ram V est indien (vivant à Londres) et le dessinateur Filipe Andrade (attention aux deux i) est portugais. Donc certes, l’éditeur est Boom! Studios et donc le produit final est sorti sous forme d’une mini-série en Amérique au format souple classique mais on est loin d’une ambiance urbaine au sens Marvel / DC du terme. Comme l’action se déroule elle-même en Inde, c’est un dépaysement de chaque instant qui s’installe dans ces pages. Et à en croire l’interview du dessinateur pour Actua BD, les couleurs sont celles à la fois de son voyage en Inde mais aussi celles de Lisbonne. Au final, comme il est indiqué dans l’article, il émane une certaine chaleur des planches qui va ajouter à l’ambiance douce-amère de l’album.
Et au final, je peux comprendre toutes ces personnes. Car on a un joli récit sur le deuil, sur l’acceptation de la mort, avec une belle progression aussi bien de la Mort elle-même que de Darius, l’humain qui va tout changer. D’autant que lui va vieillir et qu’on va voir tout son cheminement vers son invention. C’est humain, ça touche le lecteur, ça joue sur l’émotion. Et c’est surtout très très classique. En fait, j’ai été touché par ma lecture, je ne le cacherai pas.
Mais après en être sorti, je trouve qu’il y a trop de choses à côté desquelles l’équipe est passée à côté. Dès le licenciement de la Mort, ça paraît étrange. Car qui va faire son boulot ? Est-elle seule ? Y a-t-il une équipe ? On entraperçoit une réunion managériale des personnes qui travaillaient avec la Mort et apparemment, il semble que cette dernière était carriériste et visait le poste d’une autre femme. Je n’ai pas réussi à identifier ce nouveau personnage que l’on aperçoit le temps d’une case mais cela m’a vraiment gêné de ne pas voir l’envers du côté, comment la mort pouvait continuer d’arriver sans la Mort, comment la Mort pouvait s’habituer au genre humain (et même comment elle pouvait survivre dans un monde tout de même relativement hostile à partir du moment où on n’a rien). Alors je comprends que ce ne sont que des pistes d’intrigues qui ne sont pas le fort du récit. Mais j’avoue que cela m’a manqué. Probablement que si ces sujets avaient été abordés, la mini-série aurait été trop longue, peut-être encore plus classique et que les éditeurs ont eu raison de concentrer l’histoire sur Laila et Darius.
Quant à la fin, certes, elle convient à l’histoire, mais j’ai trouvé qu’elle était trop facile et sans parti pris. Et puis au final, est-ce que tout cela n’est pas un plan ineffable mais complètement prévu par le grand chef ? C’est ce qu’on pourrait se dire. Et autant dire qu’il aime bien le chaos.
Toutes les morts de Laila Starr est donc un récit très agréable, facile à lire (les cases ne sont pas surchargées, c’est le moins que l’on puisse dire et le dessinateur s’attache à une composition rigoureuse de ses planches – voir l’interview plus haut) et qui vous touchera. Sa fin ouverte et ses oublis (probablement volontaires) vous feront avoir quelques discussions entre lecteurs. Ceci dit, l’album m’a aussi fait penser à Carmen de Guillem March ou encore au majestueux Daytripper (sans que je me rende compte que les frères Moon & Bà avaient signé la préface du bouquin). Un bon bouquin donc mais qui possède tout de même un léger manque de finition à mon goût.