Pauvres Créatures (2023)
21 janvier 2024Vu en VOSTFR.
réalisé par Yorgos Lanthimos
Avec Emma Stone, Mark Ruffalo, Willem Dafoe, Ramy Youssef, …
Godwin Baxter est un scientifique absolu, tout comme son père, qui ne connaît pas de limites, tout comme son père. Sa froideur et son obsession pour l’avancée de ses travaux l’amènent à récupérer le corps d’une femme qui vient de se jeter d’un pont. Coup de bol, ça n’est pas un corps qu’il récupère mais deux: celui de la femme et celui de son bébé pas encore né. Comme Baxter a pour objectif d’implémenter un cerveau dans un corps, il lui suffit d’implémenter celui du jeune enfant dans le corps de sa mère. De ranimer le tout et de voir comment le résultat se comporte et comment il va évoluer.
Bonheur pour lui, celle qu’il prénomme Bella va se révéler un objet d’étude fascinant et progressant rapidement. Avec l’aide de l’un de ses étudiants, Baxter va continuer d’observer Bella et de constater qu’une idylle va naître entre les deux personnages. Sauf que Bella a découvert les joies de la masturbation et qu’elle aimerait bien avancer les choses avec Max qui, de son côté, ne voit rien faire avant le mariage.
Un mariage un peu particulier car si Max épouse Bella, il devra vivre chez beau-papa afin que Bella y reste elle aussi. Cela attire la curiosité de l’avocat Duncan Wedderburn qui se demande quel genre de femme peut provoquer un tel contrat. Wedderburn persuade donc Bella de s’enfuir avec lui, ce que la jeune femme accepte en ayant prévenu papa et fiancé avant. Comme les deux hommes savent que Bella reviendra après son expérience personnelle, ils la laissent s’en aller. C’est alors que Bella va comprendre que la vie lui réserve encore bien des surprises … Heureusement pour les spectateurs-trices d’ailleurs.
Je me suis décidé à aller voir Pauvres Créatures car j’ai lu qu’il s’agissait d’une relecture du mythe de Frankenstein. Et puis, en allant au ciné, je me suis rendu compte que le nom de Yorgos Lanthimos m’était familier et pour cause, puisque j’avais vu The Lobster, un de ses précédents films. C’est donc avec un peu d’appréhension que je m’y dirige car j’attendais beaucoup de The Lobster mais que son traitement m’avait paru loooooooooong. Et c’est un peu ce qui se passe durant le premier chapitre de Pauvres Créatures (découpé donc en grandes parties illustrées par des encarts oniriques du plus bel effet). La mise en place dans ce noir & blanc si soyeux est à l’instar du film sus-mentionné très lente. Mais une fois que Bella prend son envol et que la couleur prend la place du noir & blanc, tout coule de source et j’ai suivi avec bonheur cette femme qui sait ce qu’elle veut.
Au final, le film était très agréable avec un humour toujours très particulier. Loin d’être un humour froid ou reposant sur des dialogues acerbes et assassins, c’est plus un humour qui critique l’absurdité de la vie face à un personnage candide. Bella, c’est un peu comme un Sheldon Cooper qui serait plus agréable et dont la naïveté serait plus compréhensible du fait de son jeune âge. Bref, c’est drôle, c’est suffisamment rythmé pour maintenir l’intérêt et ça pose pas mal de questions sur ce qu’est la liberté (dépassant la condition de la femme qui est bien entendu mise en avant par des moyens divers et variés).
Donc j’ai bien aimé et petit warning, il y a quand même pas mal de scènes de sexe, donc y aller en connaissance de cause, même si celles-ci semblent logiques dans la compréhension de Bella. 🙂
Allez hop, on développe et on va se vautrer dans les spoilers vous voilà prévenus …
Tout d’abord, même si cela n’est pas explicité, pour moi, Godwin est la créature de Frankenstein qui a réussi et est devenu médecin comme son père. Non seulement, Dafoe a une gueule cassée (qui correspond tout de même à une époque ultérieure de celle du film, aussi fantasmé soit ce monde victorien) mais le fait que Bella cherche à devenir médecin comme son créateur à la fin du film laisse entendre que Godwin lui-même était l’expérience de “son père” (il en fait mention dans le film sans que ce soit des événements mentionnés dans le roman de Shelley – Godwin parle de sa jeunesse et de son intelligence, ce que la créature manifeste rarement dans le livre). Mais là où Frankenstein est dégoûté par sa créature et en a peur, Godwin se laisse émouvoir par Bella, surpassant son paternel.
Oui la condition de la femme est au centre du film. Bella dans quasiment toutes les situations qu’elle rencontre va se sentir enfermée: que ce soit chez son père, à bord d’un bateau avec son amant – qui l’y emmène de façon peu consentie, dans le bordel où elle va travailler ou bien chez son ancien époux (du temps de sa première vie). Et c’est cet enfermement qui va motiver la femme à aller de l’avant. Dans la plupart des prisons, sa soif de liberté s’exprime de différentes façons: elle casse tout ce qu’elle voit dans sa première maison, à l’image d’un nouveau-né; elle se confronte aux idées d’une femme âgée qui a dépassé son envie sexuelle; elle prend le dessus sur les hommes à qui elle donne du plaisir en y mettant ses conditions, de quoi finalement réussir à s’émanciper de celui qui pensait avoir tous les droits sur elle.
À noter le personnage de Duncan Wedderburn (excellent Mark Ruffalo), tombeur qui va se faire prendre par Bella dans le sens où elle comprend qui il est et qu’elle ne s’en offusque pas. Mais comme lui ne comprend le rapport de séduction que par le fait de briser ses conquêtes, cela ne colle pas avec ses habitudes et le folklore de la situation va rapidement tourner à la frustration. Et malgré toutes ses simagrées, Bella tiendra bon, ridiculisant l’avocat qui servira de ressort comique. Une belle scène de woman power se déroule quand l’appétit sexuel de Bella dépasse de loin les compétences (pourtant fort honorables) de Duncan. Puisqu’un homme est limité à son nombre d’orgasmes de façon physiologique, la femme lui est supérieure dans ce domaine.
Alors forcément, on est dans le domaine du conte. Les ellipses sont commodes et empêchent vraiment de mettre les personnages dans la difficulté. On ne verra pas comment Duncan et Bella galèrent pour faire Marseille – Paris sans un sou; on ne saura pas comment Bella retourne chez elle après ses passes parisiennes, bref, dès qu’on pourrait pencher dans un drame réaliste, la mise en scène coupe et nous emmène là où le réalisateur veut nous emmener. Cela permet aussi de désamorcer pas mal de moments où le film aurait pu se vautrer dans le glauque. Mais il règne une bonne humeur permanente dirigée par une Bella magistrale (et une Emma Stone véritablement convaincante, au ton et aux expressions d’une belle justesse) qui rend le film fort agréable.
Je n’ai pas lu le roman dont le film est tiré donc point de comparaison de ce côté. Yorgos Lanthimos propose un film fort et léger à la fois, avec pas mal de sujets de réflexion une fois le générique terminé. Avec des acteurs qui sont tous très bons et qui sont investis dans leurs personnages, voilà une nouvelle bonne pioche cinématographique pour ce début d’année.