Au cœur des solitudes

5 février 2024 Non Par sgtpepere

(Lomig / Ed. Sarbacane)

John Muir est un jeune homme qui semble plein d’avenir: ingénieux, malin sans avoir eu d’éducation avancée, il adore le bois et le travailler. C’est lors d’un travail dans une scierie qu’un accident manque de lui ôter la vue.
Il s’en sort relativement chanceux puisque son œil gauche recouvre totalement la vue et que son œil droit est très légèrement touché, surtout au vu de l’accident. Mais ce choc va lui donner une nouvelle ambition: herboriser l’Amérique lors d’un périple de 1500 kilomètres à pied qui lui ferait rejoindre l’Amazone à partir de l’État du Kentucky. Faire un avec la nature, la cataloguer du mieux qu’il peut afin de montrer au monde la merveille qu’il côtoie.

Cet album s’est retrouvé dans mes mains un peu par hasard. Alors bien entendu, sa couverture à la fois énigmatique et superbe, ce titre très introspectif, cette légère note de couleur dans un ensemble en noir & blanc, tout cela avait déjà attiré mon attention à chaque passage de librairie. Et la présentation de Claire “fillefan2bd” (https://www.instagram.com/fillefan2bd/) de l’album a fini de me convaincre de le lire, surtout qu’elle me l’a prêté.

Tout d’abord, je remercie Sarbacane d’avoir ajouté un cahier explicatif sur la vie de John Muir qui complète parfaitement la bande dessinée, en détaillant où intervient l’accident et surtout ce qu’il advient de John Muir après les dernières pages de l’album. Il est alors très intéressant d’apprendre que Muir, malgré son époque, reste un écologiste, un humaniste et un croyant qui va à rebours de l’American Way of Life. Conservation de la nature, limitation de l’action de l’homme sur cette dernière (Muir se battra contre la déforestation ou la construction de bassines “naturelles”), recul sur l’action des colons blancs américains vis à vis des population amérindiennes déjà en place: il est fort surprenant de voir un
homme aussi moderne près de 200 ans avant nous.

Et Lomig réussit à retranscrire tout ça de façon merveilleuse. Dès les premières planches, les lecteurices ne peuvent être qu’émerveillé·e·s devant le détail du trait, la finesse d’un réalisme dénué de toute froideur, l’amour porté aux plantes et aux animaux que Muir va croiser. Ce qui est encore plus admirable, c’est d’y arriver sans faire appel à la couleur (seulement mentionnée dans le texte). Certes les noirs ne le sont pas complètement, on est sur du gris, du sépia, pas complètement et entièrement. Et cela apporte aussi de la douceur et de la subtilité aux planches. Ajouté au ressenti tactile de la couverture (matte et douce), l’effet m’a saisi dès les premières pages. Il suffit ensuite de se laisser guider sur les traces de Muir, de comprendre son discours si moderne, de le voir confronté à des esprits qui ne sont clairement pas prêts à recevoir ses idées tout en comprenant pourquoi il n’est jamais présenté comme un antagoniste. Car à de nombreuses reprises, on pourra avoir peur pour Muir que ce soit lors de ces rencontres avec des animaux sauvages ou avec des hommes qui semblent rarement plus civilisés. Mais comme il le sera indiqué dans le texte, c’est en considérant l’autre comme un ennemi qu’on se prend à ne plus respecter le monde dans lequel on vit. Et Muir, en n’étant jamais en conflit, applique parfaitement son idée directrice.

À la fin d’Au cœur des solitudes, c’est un sentiment mélangé qui restait: à la fois le bonheur d’un récit feel-good et de l’apogée de la découverte d’un homme qui a trouvé sa raison de vivre mais aussi la tristesse de voir que notre avenir ne va pas vraiment dans le bon sens. Et si je n’ai toujours pas compris le titre (car si ce n’est au tout début, Muir ne se sent jamais seul, voire même il énonce que nous ne faisons qu’un, donc comment être seul dans ce cas-la), la balade était fort agréable.