The Substance (2024)
12 novembre 2024Réalisé et scénarisé par Coralie Fargeat.
Avec (entre autres) Demi Moore, Margaret Qualley et Dennis Quaid.
Une ancienne actrice à succès, Elisabeth Sparkle, reconvertie dans la gym (coucou Jane Fonda) distribuée à la télévision, se voit virée à cause de son âge. Suite à un accident de la route dont elle ressort indemne, elle se voit proposée la substance. Un produit qui va créer “une meilleure version de vous-même”. Mais comme tout produit magique, il y a des conditions: nourrir les deux corps, se stabiliser et surtout échanger sa vie tous les sept jours exactement sans exception.
Si Elisabeth ne voit pas le problème, sa jeune contrepartie, Sue (sans nom de famille), va vite voir les limites de son aînée et ne pas forcément vouloir se plier aux règles du jeu avec tous les risques que cela implique.
The Substance est le deuxième film de Coralie Fargeat (après un Revenge réalisé en 2017 et un épisode de la série Sandman). On y reçoit un message sur l’âge qui passe et surtout ce que la société demande aux femmes: être belles et jeunes éternellement. Fargeat va pour cela tisser une fable versant allègrement dans le gore (surtout en fin de métrage) où ses deux héroïnes vont tenter tant bien que mal de vivre une vie où l’une d’entre elle n’a pas (ou plus) sa place.
Le cinéma de genre donne un genre
Comme Fargeat semble aimer taper là où ça fait mal (la bande annonce de Revenge suffit à comprendre le point de vue féministe de la réalisatrice), elle va convoquer pas mal de cinéma de genre et ceci de façon un peu trop scolaire. Le film étant organique (comme on dit dans le milieu), il y a moult références à tout ce que David Cronenberg a pu réaliser (de Videodrome – probablement la référence la plus évidente à eXisTenZ ou au Festin Nu), ça squishe, ça grouille, ça gloupse. Chez les femmes, cela a un rapport avec leur corps et chez les hommes avec la saleté (le producteur et son plat de crevettes à la mayonnaise; l’ami d’enfance qui donne son numéro de téléphone sur un bout de papier tombé dans la boue). À cette référence évidente, on peut comprendre qu’il s’agit d’une vanité du XXIe siècle. À l’image des artistes flamands du XVII, Fargeat associe vie qui passe et alimentation le plus souvent consommée et à deux doigts de la pourriture.
Si Cronenberg est donc un parrain logique, la réalisatrice va également appeler Shining par la déco des studios de télévision (ou un certain couloir interminable dans l’appartement des héroïnes) ou encore faire appel au cinéma de David Lynch. Là encore, peu de surprises, on est dans l’étrangeté, la difficulté de la communication. Mais c’est certainement dans l’imagerie d’Elephant Man (un cas quasi-unique dans la filmo de Lynch) que Coralie Fargeat va piocher en conclusion de son métrage.
Le gore, j’adore
Fargeat aime le fantastique mais aussi le gore. Le film se veut être un coup de poing féministe et on en ressort sonné aussi bien visuellement qu’auditivement (coucou Gaspard Noé). Le film aurait pu s’arrêter d’ailleurs sur l’agression du spectateur plutôt que de proposer un final plus calme, faussement cathartique et trop sage et scolaire. (On y reviendra.)
Le gore est une chose difficile à appréhender et est peu répandu dans le monde du cinéma mainstream. Le comportement automatique de tout spectateur est donc de rire face à une débauche de sang et de tripes qui est tout sauf naturelle. Amateur de la chose, je n’ai pourtant pas réussi à trouver ces moments grand-guignolesques drôles. Car si on est dans l’outrance, il ne faut pas oublier ce que vit le(s) personnage(s), leur souffrance et leur tragédie.
Tout comme se moquer de John Merrick (Elephant Man) , rire du malheur des héroïnes me semble aller contre la volonté de la réalisatrice. Il y a toujours la piste de l’ascenseur émotionnel que l’on peut défendre mais avouons qu’il ressemble plus à des montagnes russes émotionnelles, trop rapides pour pouvoir faire leur effet. Rayon référence, on pourra caser un petit Carrie de Brian De Palma. La carte de bingo se remplit.
Les maîtres ont dit
Esthétiquement, il n’y a rien à redire: les décors sont sublimes; tout ce qui touche à The Substance est bien emballé (comme tout bon produit moderne) et les images sont pétillantes, surtout quand Sue est à bord.
Le montage est bien tendu et l’attention du spectateur est maintenue comme il le faut. Ceci dit, l’ennui n’est pas toujours évité, surtout lorsque l’action dure trop longtemps: les scènes d’aérobic de Sue sont trop longues et on a normalement déjà rapidement compris le message sur le male gaze sans avoir à passer plusieurs minutes sur le bassin de Miss Qualley; la déchéance d’Elisabeth prend aussi son temps même si elle est, cette fois-ci, beaucoup plus logique d’un point de vue scénaristique.
Le jeu des différents acteurs est juste superbe à commencer bien entendu par Demi Moore
et Margaret Qualley qui portent toutes deux le film sur leurs épaules et qui n’hésitent pas à se mettre à nu devant la caméra.
Par contre, j’ai beaucoup de mal avec le scénario pour lequel le film a pourtant remporté un prix à Cannes cette année (2024). Il y a des moments qui m’ont fait sortir du film et de façon toute bête. On ne sait globalement pas comment Sue fait pour justifier son existence administrative, pourquoi elle est aussi différente de sa matrice (alors qu’elle est censée être une meilleure version), pourquoi se contente-t-elle de ce que la vieille faisait déjà, pourquoi ne cherche-t-elle pas mieux ?
Au final, il y a des choses qu’il faut accepter, comme si nous regardions une fable. Sauf que plusieurs choses coincent: si fable il y a, il doit aussi y avoir des règles que le film doit respecter comme un contrat avec le spectateur. Or, à un moment, Elisabeth a bien du mal à faire fonctionner une certaine partie de son corps et plus tard, galope comme un cabri alors qu’elle est censée être en pire santé. De même, les personnages rêvent et ont des hallucinations, comme s’ils étaient des personnages réels. Des comportements qui me semblent ne pas aller avec la structure de la fable.
J’aime pas les gens
L’avis d’un Mastonaute m’a aussi révélé une chose: le film ne montre pas de libération de la femme. Est-il féministe pour le coup ? Il ne fait qu’exposer une condition féminine mais ne donne pas de sorties à son personnage principal.
Les vieilles ? Elles ne s’assument pas et étaient déjà bien pourries à la base. Les jeunes ? Ils sont feignants, insouciants et incapables de se projeter dans le futur. Les hommes ? Ce sont tous les porcs. Bref, il n’y a pas un seul personnage qui va avoir ne serait-ce qu’un rôle un tant soi peu constructif.
The Susbtance est un film qui veut taper fort. Avec des scènes trop longues, des allusions très marquées (Elisabeth Sparkle – to sparkle: briller comme les paillettes du dernier plan), le film manque de subtilité mais un film comme ça en a-t-il besoin ? Ne vaut-il mieux pas y aller franco dans les gencives, histoire de marquer son propos, plutôt que d’y aller avec modération ? The Substance est un film violent, direct, quasi-punk mais dont l’application trop scolaire rend la copie quelque peu schizophrène. Ce qui est en partie le sujet du film en fait.
Edit: suite à l’échange ci-dessous, je me suis rendu compte que j’étais passé à côté de quelque chose qui est pourtant rappelé à Elisabeth 2 ou 3 fois et que j’ai même mis en illustration dans cet article. “Souvenez-vous que vous n’êtes qu’une.” En salle, j’ai rapidement donné à Sue sa propre personnalité alors que c’est une erreur et que c’est bel et bien Elisabeth qui est à bord tout du long, ce qui explique par exemple pourquoi elle se réfugie vers la voie de la facilité en reprenant son émission.
Pour le coup, The Substance prend une toute autre apparence et devient également un film sur l’addiction (faudrait que je revoie Reqiuem for a Dream pour savoir si la réal fait aussi coucou à Aronofsky – d’ailleurs peut-être est-ce lui qui est cité quand j’ai pensé à Gaspard Noé). La scène finale (celle que j’aurais probablement coupé suivant ma compréhension du film) prend alors beaucoup de plus de sens, même si elle reste là encore trop appliquée, trop scolaire par son retour au début du film et la fermeture de parenthèse.
@sgtpepere c'est marrant on n'a pas la même interprétation du film.
Pour moi ce n'est pas un film sur l'emancipation d'une femme mais au contraire d'une femme prisonnière du patriarcat.
Alors que la version jeune lui donnerait la possibilité de tout refaire, elle se contente de reproduire sa vie a l'identique, fantasmant sa vie passée, comme ces boomers qui fantasment leur jeunesse devant Praud commentant un monde dont ils se sentent exclus et qu'ils estiment décadent.
@sgtpepere
Sparkle ne remet jamais en question l'autorité et l'ascendant de Harvey (autre clin d'oeil pas subtil) mais cherche à nouveau son approbation. De par son vécu elle est totalement soumise au male gaze et est intellectuellement incapable de questionner ce système qui l'a broyé, elle de demande qu'à y revenir.
La scene du rdv manqué l'illustre bien : elle n'arrive pas a y aller ne s'estimant pas assez belle et jeune alors que son ami est fou d'elle sans ça.
@sgtpepere elle ne peut pas concevoir qu'il puisse aimer et désirer une femme de son age, tellement elle a ancré en elle le fait qu'une femme doit etre jeune et belle, simple objet de desir pour les hommes et non pas un partenaire.
@glaudioman56 @sgtpepere@sgtpepere.com Merci ! Tu as mis le doigt sur le truc qui me manquait. Et je suis tout à fait d'accord avec tes commentaires.
Ça ajoute une incohérence sur le fait que les personnages soient identiques / différents et par exemple que la jeune fasse complètement n'importe quoi.
@sgtpepere@ludosphere.fr @sgtpepere@sgtpepere.com
Ca ne me parait pas si incohérent : c'est le même personnage, la voix au tel le lui rapelle et le fait que Sue ne fasse que reproduire la vie d'Elysabeth au lieu de s'emancier semble le confirmer.
Je prête peut etre des intentions qui n'en sont pas, mais j'y vois aussi un parallèle avec la génération baby boom qui etant jeune a vecu dans la jouissance sans se poser de question sur les consequences 1/3
@sgtpepere@ludosphere.fr @sgtpepere@sgtpepere.com et une fois âgés et les consequences face a eux refusent d'admettre leur responsabilité.
Pour Elysabeth, la seule explication est qu'elle n'est pas Sue, que Sue est une toute autre personne. Mais du coup, pour quoi rester cloîtrée chez elle pendant sa semaine et ne pas stopper tout de suite ? Si Sue est une autre personne, l'experience n'apporte rien à Elysabeth.
Le fait qu'elle rempile confirme qu'elle est bien Sue et le sait, mais est dans le déni.
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@sgtpepere@ludosphere.fr @sgtpepere@sgtpepere.com
Et même en le sachant, elle préfère s'enfermer dans ce deni pour continuer à jouir en tant que Sue, quitte à tout perdre, plutôt que d'avoir un peu de retenue et s'assurer un avenir au prix de quelques sacrifices.
Effectivement, ce fonctionnement est déraisonnable et peu logique sur le papier, mais le climatoseptisme, l'election de Trump, le discours des médias Bollore montrent qu'il n'est pas inconcevable et existe.
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