Géante

Géante

7 février 2021 0 Par sgtpepere

Scénariste: J.C. Deveney
Dessins: Nuria Tamarit
Editeur: Delcourt

Céleste est recueillie par une famille de fermiers avec bonheur car elle est leur première fille après avoir eu six garçons tous différents les uns des autres. Mais Céleste a tout de même une particularité : elle fait bien trois fois l’épaisseur de son père et presque deux fois sa taille alors qu’elle n’est qu’un bébé.

Heureusement, en vivant en pleine nature et assez éloignée des autres hommes, elle ne craint pas grand-chose. Ni d’effrayer, ni de commettre quelques bêtises qui, vu son gabarit, pourraient être désastreuses. C’est adolescente qu’elle va rencontrer un marchand ambulant qui se trouve être en réalité un escroc. Il faut croire à Céleste qu’il connaît d’autres géants et qu’il veut les lui présenter. Trop heureuse de ne pas être seule, la jeune fille va le suivre ce qui va déclencher bien des soucis mais aussi démarrer le destin très particulier de la grande fille.

Géante est un album … géant. Dans tous les sens du terme. Epais de presque 200 pages, cette épopée va laisser le temps au lecteur de s’imprégner du monde de Céleste. On va y parler très fugitivement d’Ulysse et de son odyssée comme quelque chose d’actualité, ce qui permet bien entendu de relier Géante aux mondes des contes et des mythes mais aussi de lui donner un cadre temporel un peu plus précis.

Et ce monde est riche, très riche. Grâce aux talents de Céleste, les distances ne sont plus infranchissables comme cela pourrait l’être pour un humain normal et l’héroïne va donc connaître des gens et des lieux très différents. Si sa motivation est de trouver ses origines, voire de trouver des semblables, le livre va aller bien plus loin que ça. Parler de l’acceptation de soi me semble très limité par rapport au message que livre Géante même si dans le fond, c’est bel et bien ce point qui reste le fond de l’histoire. Mais le développement de Céleste, les questionnements qui envahissent son esprit, ses réponses qu’elles soient consciemment réalisées ou non, font tout l’intérêt de cette bande dessinée qui dépasse la rayon « féministe » (non, ça n’est pas un gros mot) dans lequel on pourrait le ranger.

200 pages, ça n’est pas une mince affaire. Pourtant, j’ai lu l’album d’une traite. Le scénario de J.C. Deveney est très chouette, même s’il se laisse aller à quelques facilités (qui sont souvent présentes dans les contes donc cohérentes avec le genre), est servi par des dialogues qui font mouche. Il y a du rythme, les mots sont bien choisis et la lecture de textes et d’images m’a paru d’une belle fluidité. Les textes narratifs ont eux aussi bien dosés, pas trop longs, bien découpés par rapport aux images.

Et d’images, Géante n’en manque pas. Nuria Tamarit n’hésite pas à fournir 10 cases dans la plupart d’entre elles. Si la dessinatrice possède un trait qui semble simple, il est manié avec force et talent. Les personnages sont très expressifs alors que leurs yeux se limitent le plus souvent à deux grands cercles. La mise en scène et les cadrages sont très réussis et j’ai particulièrement apprécié la façon dont l’artiste réussissait à caser son héroïne, de façon à la rendre reconnaissable tout en ne lui donnant pas la majorité de l’espace de lecture quand elle n’était pas le personnage central de l’action.

Autre réussite : la variété des personnages malgré un trait qui pourrait les créer trop ressemblants. Il en faut peu pour distinguer un personnage d’un autre mais cela fonctionne absolument car en fin d’album, un ancien personnage reviendra et je l’ai reconnu au premier coup d’œil. La couverture, à l’instar des pages qui découpent les chapitres, continue de plonger le lecteur dans cette ambiance de conte. On n’est pas dans le détail d’une planche de Bilibine mais on s’en rapproche tout de même.

Alors que cet album est paru à peu près au même moment que Peau d’homme et que les ambiances sont très proches, Géante est tout aussi réussi, voire plus universel que la BD à succès d’Hubert et Zanzim car elle n’aborde pas que la notion de sexe et d’égalité des sexes. Comme son sous-titre l’indique, il s’agit surtout de liberté et ce formidable album remplit pleinement son contrat.